MÉMOIRE DE LA FÉDÉRATION DES
TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU QUÉBEC
ET DU FONDS DE SOLIDARITÉ FTQ
La Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ)
et le Fonds de solidarité FTQ remercient les membres du Comité permanent des
finances de l’opportunité qui leur est offerte de présenter leurs réflexions et
leur recommandation pour le budget 2012.
C’est fort de plus de 600 000 membres de toutes les régions du
Québec que la FTQ se présente devant ce comité pour affirmer que l’intervention
gouvernementale en matière d’aide et de financement aux entreprises est un
élément essentiel d’une stratégie cohérente de développement économique, de
création d’emplois ainsi que d’une politique de développement régional et
local.
Le Fonds de solidarité FTQ joint sa voix au présent mémoire, lui
qui a vu le jour en 1983 en réponse aux préoccupations de la FTQ à l’égard de
l’emploi et du développement économique, principalement par des investissements
dans les PME. Avec un actif net de 8,2 milliards de dollars au 31 mai 2011, un
nombre record de plus de 583 000 actionnaires, soit près de 14 % de la
population active du Québec, provenant principalement de la classe moyenne, partagés
entre des investisseurs de milieux syndiqués (58 %) et non syndiqués (42 %). Le
Fonds finance 2129 entreprises partenaires, principalement des PME dans toutes
les régions du Québec, et la valeur ajoutée de ces entreprises équivaut à près
de 8 % du PIB global du Québec dans les secteurs industriels visés par le
Fonds. Le Fonds de solidarité FTQ est ainsi devenu au fil de ses interventions
un acteur incontournable en matière de développement économique au Québec.
Dans le cadre de ce mémoire, la FTQ et le Fonds de solidarité
feront valoir le rôle que jouent les fonds de travailleurs au Québec face à la
situation de l’industrie du placement privé, mais aussi par rapport à l’enjeu de la faible préparation financière à la retraite
des Québécois.
Le Fonds de solidarité FTQ en quelques lignes
Le Fonds de solidarité FTQ est un fonds d’investissement en capital
de développement aux racines syndicales, créé à l’initiative de la FTQ. Le
Fonds de solidarité FTQ a été créé en 1983 unanimement par une loi de
l’Assemblée nationale et a très rapidement reçu le soutien du gouvernement
fédéral par l’appui du gouvernement conservateur de l’époque.
La mission du Fonds s’articule autour des quatre grands piliers
suivants :
· investir dans des entreprises à impact économique québécois et
leur fournir des services en vue de contribuer à leur développement et de
créer, de maintenir ou de sauvegarder des emplois;
· sensibiliser et inciter les travailleurs et les travailleuses à épargner
pour leur retraite et à participer au développement de l’économie par la
souscription aux actions du Fonds;
· favoriser la formation des travailleurs et des travailleuses dans
le domaine de l’économie et leur permettre d’accroître leur influence sur le
développement économique du Québec. La formation économique donnée aux employés
des entreprises dans lesquelles le Fonds investit ainsi qu’à d’autres
intervenants, favorise la communication en entreprise, facilite une meilleure
compréhension de l’évolution et de la situation financières des entreprises;
· stimuler l’économie québécoise par des investissements
stratégiques qui profiteront aux travailleurs et aux travailleuses, de même
qu’aux entreprises québécoises.
Le Fonds est présent dans 25
secteurs d’activité économique, et ce, à toutes les phases du développement des
entreprises. Au cours des dix dernières années, il a injecté près de 6
milliards de dollars en investissements directs dans les entreprises et dans
les fonds privés spécialisés, dont 4,4 milliards de dollars ont été investis
dans les secteurs traditionnels et 1,5 million de dollars dans les secteurs de
la nouvelle économie, ce qui place le Fonds comme un leader en capital de
risque au Québec.
Environ 58 % des investissements du Fonds
et de son réseau sont faits hors de la grande région de Montréal. Grâce à leur
présence dans toutes les régions du Québec, particulièrement dans les régions
ressources, les 16 fonds régionaux de solidarité FTQ et les 87 fonds locaux de
solidarité FTQ, créés en partenariat avec la Fédération québécoise des
municipalités, jouent un rôle dynamique dans la croissance des entreprises. Ce
réseau collabore étroitement avec les organismes de développement économique provinciaux
et fédéraux tels les Centres locaux de développement, les Corporations de
développement économique communautaire et les Sociétés d’aide au développement
des collectivités.
Une situation difficile pour l’industrie du placement privé
L’industrie du placement privé a connu récemment des années difficiles
et ne s’est pas encore remise de la crise de 2008-2009. L’activité de levée de
fonds de capital de risque (« CR ») notamment a été particulièrement faible
au Canada en 2010. Les nouveaux engagements de capitaux destinés aux fonds de
CR ont totalisé 819 millions de dollars l’an dernier, une chute de 24 %
par rapport à l’année précédente, et le niveau annuel le plus bas du marché
canadien en 16 ans. Les données du premier trimestre de 2011 ne sont guère plus
encourageantes puisque les levées de fonds sont en baisse de 44 % par
rapport au premier trimestre de 2010. Selon Gregory Smith,
President de la Canadian Venture Capital Association (CVCA) :
Fundraising continues to be the major challenge
facing the venture capital industry.
CVCA, February 16, 2011
To finance Canadian innovative companies across
all cycles of growth, our VC industry requires the resources that come from
continuous fund-raising at more sustainable levels. This is not the direction
of current trends, nor has it been for several years now […] If we wish to
guarantee Canada a prosperous economic future based on thriving knowledge-based
businesses, then long-standing challenges to VC supply must be swiftly and
effectively addressed.
CVCA, May 17, 2011
Le Québec a été cependant moins affecté par cette baisse des levées
de fonds. Les gestionnaires de fonds de CR établis au Québec ont recueilli 42 %
de tous les engagements au Canada, bien plus que le poids relatif de l’économie
québécoise dans l’ensemble du Canada. Selon Geneviève Morin, coprésidente de
Réseau capital :
Grâce à la présence des fonds fiscalisés et à diverses
initiatives gouvernementales en appui à la création de fonds privés, la levée
de fonds au Québec a moins diminué qu’ailleurs au Canada.
Réseau Capital, 16 février 2011
Le Fonds de solidarité FTQ a largement participé à ces diverses
initiatives gouvernementales. Depuis 2005, le Fonds a engagé près d’un milliard
de dollars dans 42 fonds privés. Par ailleurs, depuis dix ans, le Fonds a
engagé directement près de 5 milliards de dollars dans les PME
québécoises.
La force du Québec en matière de soutien financier aux PME repose
notamment sur la capacité des fonds de travailleurs, particulièrement le Fonds
de solidarité étant donnée sa taille importante, d’attirer l’épargne-retraite
des Québécois et de canaliser cette épargne directement vers le financement en
équité des entreprises privées ou indirectement par le financement de fonds
privés indépendants. Au Québec, hormis l’épargne-retraite publique gérée par la
Caisse de dépôt et placement, aucun autre véhicule d’épargne destinée à la
retraite n’est alloué de manière significative à ces besoins.
Selon Gregory Smith, le président de la CVCA :
Quebec has been a leader, but no one province or
one fund can prop up the entire industry. You need to work in collaboration. If
all the provinces had a strategy as robust as Quebec, you'd see a market pickup.
CVCA, February 17, 2011
Dans les années à venir, l’activité de levée de fonds au Canada devrait
continuer à être difficile étant donné que de nombreux investisseurs
institutionnels ne sont plus attirés par cette classe d'actifs comme dans
le passé. Depuis le début des années 2000 (l’après bulle technologique), les
taux de rendement obtenus par les investisseurs institutionnels ont été
insuffisants pour compenser le niveau de risque de cette classe d’actif. Il est
donc normal que ces investisseurs se détournent de cette catégorie de
placements.
Les résultats du Québec, notamment en matière de levée de fonds,
montrent clairement que la présence de fonds de travailleurs de grande taille,
capable d’attirer de manière très importante l’épargne retraite des Québécois,
est une réponse efficace au désengagement des investisseurs institutionnels de
cette classe d’actif et à la situation de pénurie de capitaux qui en résulte.
Un rôle important face à l’épargne.
Les fonds de travailleurs ont aussi un rôle à jouer pour modifier
les habitudes d’épargne des Québécois et des Canadiens. Ceux-ci font face à des
enjeux majeurs en matière de préparation financière à la retraite, une
proportion significative de ces citoyens ne disposent pas d’un bassin d’épargne
suffisant pour subvenir adéquatement à leurs besoins futurs. La situation
actuelle est préoccupante si l’on considère que le taux d’épargne des
Québécois a diminué de manière importante au cours des dernières années alors
que leur niveau d’endettement a augmenté rapidement. Par ailleurs, le niveau de
remplacement de revenus des travailleurs en vertu de leur régime de retraite
d’employeurs est en recul et une proportion importante de Québécois ne dispose
pas de régimes collectifs de retraite, notamment ceux à l’emploi de PME.
Au cours des cinq dernières années, des centaines de milliers
de Québécois ont versé de 600 à 700 millions de dollars par année au Fonds
de solidarité FTQ. Depuis sa création en 1983, le Fonds a contribué à
encourager des Québécois moins susceptibles de cotiser à un REER à le faire
(205 000 Québécois n’avaient ainsi jamais contribué à un REER avant
de devenir actionnaires du Fonds), puis à y contribuer de manière plus
régulière que chez les autres contributeurs à un REER.
Notre Fonds a, par ailleurs, offert à ses actionnaires un rendement
raisonnable, compte tenu de sa mission de développement économique, de 3,6 %
annuellement en moyenne depuis sa création en 1983, ce qui le place
avantageusement dans le deuxième quartile quand on le compare à plus de 80
fonds d’investissement canadiens privés.
Le Fonds a aussi contribué à encourager un nombre important de PME à
mettre sur pied des mécanismes qui facilitent les contributions aux REER. Les
REER collectifs (offert dans 1411 entreprises) combinés au programme de
retenues sur salaire (6500 entreprises participantes) permettent d’accroître
le nombre de travailleurs de PME qui épargnent en vue de la retraite, tout en
favorisant des contributions monétaires plus importantes.
Conclusion et proposition
Parce que le modèle des fonds de travailleurs, notamment lorsqu’il
est bien structuré et qu’il est complémentaire aux autres institutions
financières, permet d’une part, de favoriser et développer les habitudes d’épargne
et d’autre part, de canaliser l’épargne ainsi constituée vers le financement en
équité des entreprises privées (directement ou indirectement par l’appui au
financement de fonds privés indépendants), nous soutenons et approuvons la
recommandation du Comité permanent des finances dans son rapport de décembre
2009 « UN AVENIR PROSPÈRE ET DURABLE POUR LE CANADA : MESURES
FÉDÉRALES NÉCESSAIRES » :
Le gouvernement fédéral travaille aux côtés de
sociétés de capital de risque pour trouver de nouvelles sources de financement
et évalue l'efficacité des stimulants fiscaux existants sous cet angle. Par
ailleurs, il devrait étudier la possibilité d'augmenter le crédit d'impôt
relatif à un fonds de travailleurs pour le porter à 20 % de l’investissement
admissible, dont le plafond serait fixé à 20 000 $ (p.42)
Cette proposition est d’autant plus responsable dans un contexte
économique et financier difficile puisque non seulement ce crédit d’impôt appuie
un programme nécessaire pour l’avenir des entreprises canadiennes, mais permet
aux deux paliers de gouvernements de recouvrer les sommes investies à
l’intérieur d’une période moyenne d’environ trois ans, selon des études faites
en 2010 par la firme SECOR de Montréal et Regional Data Corp. d’Ottawa. Cela
permettrait non seulement de bien soutenir le financement des entreprises, du
capital de risque et de l’innovation, mais également d’encourager l’épargne, ce
qui est devenu un enjeu important pour tous les Canadiens et leurs
gouvernements.
Nous considérons cependant que les fonds fiscalisés sont avant tout
un véhicule d’épargne pour la classe moyenne et que 20 000 $ est un
plafond hors d’atteinte pour la très grande majorité de nos actionnaires. Nous
pensons donc que la mesure la plus importante est d’augmenter le crédit d'impôt
relatif à un fonds de travailleurs de 15 % actuellement à 20 % de
l’investissement admissible.
Proposition
La FTQ et le Fonds de solidarité FTQ estiment que
le gouvernement fédéral doit non seulement maintenir le programme de crédit
d’impôt relatif à un fonds de travailleurs, mais devrait étudier la possibilité
d'augmenter ce crédit d'impôt actuellement de 15 % pour le porter à 20 %
de l’investissement admissible.